L'art de résister (thème 2025)

En appeler à un art de résister en 2025, c’est convoquer nos mémoires, nos désirs, nos indignations et nos espoirs. C’est convoquer, sans angélisme mais sans fatalisme non plus, l’énergie de vivre qu’il y a en nous et autour de nous. C’est être du côté de la vie et de ses formes multiples.

— par Quentin Rioual, codirecteur artistique de C.A.M.P

Dans le récit que Germaine Tillion fait de son entrée en résistance, le doute et l’inconnu se lisent dès les premiers instants :

« À tout hasard, (…) j’ai cherché l’adresse de la Croix-Rouge française dans l’annuaire du téléphone, et l’après-midi même je suis partie à vélo pour aller m’y renseigner. (…) Comme moi, une dame fait le tour des pièces, puis revient vers l’entrée. Nous nous regardons, je me nomme, elle aussi, et je me souviens avoir dit : "Alors qu’est-ce qu’on fait ?" Elle me répond timidement : "Je ne sais pas." (1) »

Un annuaire. Un vélo. Un endroit presque vide.

Germaine Tillion n’est donc pas « entrée en résistance ». Elle est entrée dans l’inconnu : frapper à une porte, faire confiance à des inconnu·es, accepter de ne pas savoir par où commencer puis inventer, s’associer à d’autres inconnu·es qui n’avaient pas su par où commencer mais qui avaient frappé à une porte, fait confiance à d’autres… jusqu’à, bien sûr, risquer sa peau.

À la fin de sa vie, Germaine Tillion rappelait la fonction créatrice de la résistance : « Pour moi, la résistance consiste à dire non. Mais dire non, c’est une affirmation. C’est très positif, c’est dire non à l’assassinat, au crime. Il n’y a rien de plus créateur que de dire non à l’assassinat, à la cruauté, à la peine de mort. (2) »

Résister, donc, pour créer en disant « non ». Résister, donc, pour dire oui.

En appeler à un art de résister en 2025, c’est convoquer nos mémoires, nos désirs, nos indignations et nos espoirs. C’est convoquer, sans angélisme mais sans fatalisme non plus, l’énergie de vivre qu’il y a en nous et autour de nous. C’est être du côté de la vie et de ses formes multiples. C’est ouvrir la porte à ces vies. C’est lutter pour elles parce qu’elles sont toutes dignes d’exister. C’est aussi reconnaître que les forces contraires et la mort sont constitutives de notre monde. Mais c’est lutter pour que rien ni personne n’empêche notre existence ou ne nous fasse mourir à petit feu.

En appeler à l’art de résister, c’est donc en appeler à toutes les forces de vie qui luttent en nous, avec nous et autour de nous en ce monde pour dire « non » et « oui » tout à la fois.

Réuni·es autour de cet art de résister, les invité·es de la Maison Germaine Tillion jetteront des ponts entre l’histoire et l’actualité de la résistance aux passions tristes : fascismes, racismes, mépris de classe et de culture, invisibilisations. Elles et ils jetteront des ponts entre les résistances intimes et les résistances collectives, entre les résistances physiques et les résistances intellectuelles, entre les résistances des êtres humains et les résistances des oiseaux, des vents, des pierres qui ont peut-être aussi à nous apprendre leurs stratégies pour migrer, sinuer, durer…

Que nos combats et nos joies s’expriment avec art !

(1) Lorraine de Meaux, Germaine Tillion. Une certaine idée de la résistance, éd. Perrin, p. 133-134

(2) Entretien conduit à l’automne 2002 par Alison Rice et publié intégralement en anglais dans « Research in African Literatures », 35 (2004), 1, p.162-179. In Tzvetan Todorov, Le siècle de Germaine Tillion, 2008, p. 350.